LE RÉSEAU D'AFFAIRES AU FÉMININ
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LE RÉSEAU D'AFFAIRES AU FÉMININ
La femme indigo
Dans sa roulotte prolongée par une petite serre incurvée comme un cocon, le strict nécessaire, entassé dans des paniers, voisine avec de fragiles oeuvres d’art: deux canifs, une pince, un sécateur ancien, un champignon mis à sécher sur un miroir, un tas minuscule de semences de cosmos, sur quelques centimètres carrés à peine, nous sommes au coeur de l’essentiel d’Anne-Sylvie. Vivre sur roulettes, en «habitat léger», entourée d’une petite communauté solidaire, ce n’est pas un choix anodin. Il y a chez cette fille une cohérence absolue, un lien direct qui la traverse toute entière, entre son parcours artistique dont les racines remontent à l’enfance - amour de la nature et des belles matières, les nappes, les faïences familiales - la sobriété assumée de son mode de vie, et son projet professionnel patiemment construit, longuement mûri, nourri par la tranquille certitude d’être sur le bon chemin. C’est en colorant des motifs lors d’une exploration artistique qu’elle découvre la possibilité d’avoir recours aux plantes. «D’un seul coup, mon terrain de jeu s’est agrandi.»
Anne-Sylvie fait ses premiers semis. Rencontré en 2006, Michel Garcia, spécialiste en teintures végétales, lui enseigne l’art et la manière d’extraire des plantes les couleurs sous forme de pigments. Jouant son rôle de mentor jusqu’au bout, un jour il suggère que l’élève prenne son indépendance. Anne-Sylvie, licenciée en sculpture, n’a plus qu’à retourner à l’école. Et comme elle n’est pas du genre à lésiner, elle fait suivre une année complète d’agriculture biologique, d’une année de gestion, avant de mettre son projet en couveuse d’entreprises une bonne année encore, au terme de laquelle un jury confirme sa viabilité. Ces trois ans de préparation consciente sont loin d’être superflus, d’autant que «le résultat importe moins que le cheminement» dit-elle. Et qu’il s’agit d’un engagement particulièrement intense.
Anne-Sylvie cultive son champ. Vingt ares plantés de polygonum, la renouée du teinturier dont les très ordinaires feuilles vertes donnent pourtant un bleu hallucinant.
Seule à la maneuvre, seule sur son tracteur, seule à la production et à la transformation des matières premières, la frêle chef de chantier étoffe ses muscles. En vingt-cinq jours de moisson ce ne sont pas moins de deux tonnes et demie de feuilles et tiges, qui lui passent entre les mains.
De juillet aux gelées, l’atelier d’extraction, installé dans une ancienne fromagerie, s’anime comme une salle d’accouchement.
Chauffer l’eau. Jeter les plantes par paquets de cinquante kilos dans deux grands bassins. Recouvrir d’eau chaude. Ajouter l’alumine de potassium. Faire infuser deux heures au moins. Filtrer. Recueillir le précipité. Recommencer. Dormir quelques heures pendant la trempette suivante. Filtrer. Recommencer. Encore et encore. Le corps souffre jusqu’à se fêler parfois.
Rhumes, tendinites, le sommeil ne suffit plus à récupérer. Mais il n’y a pas à ralentir le rythme car la récolte des fleurs de cosmos suit immédiatement celle des polygonums. Chauffer, infuser, filtrer, broyer, l’orange rejoint l’indigo. Dans les bocaux de pigments, le bleu a la profondeur des abysses.
La gamme s’élargit, le travail n’est pas fini. Pour le jaune, il y a la solidage du Canada, pour le vert, la reine-des-prés, pour le gris, les racines de fraisier à trier chez les maraîchers, pour le brun, les
brous de noix à glaner dans les fermes voisines, pour le rouge et le rose, les racines de garance qui viennent d’Iran et la cochenille des Canaries... En tout, ce sont douze plantes et la carapace d’un insecte qui seront transformées jusqu’au produit fini, pigments purs à utiliser tels quels, en solutions prêtes à l’emploi, ou aquarelles en tubes. Quand tout est prêt, il reste...à s’occuper du reste. Le conditionnement, la commercialisation, la promotion, la distribution, la formation des stagiaires, le recrutement des saisonniers, les demandes d’animation à satisfaire car les plantes tinctoriales intéressent beaucoup de monde.
Anne-Sylvie masse ses phalanges éprouvées par l’eau, les fibres et les gestes mille fois répétés.
Seule à la tête de son projet, elle souhaite que sa création en inspire d’autres. Que son produit fini devienne matière première. Que des artisans et des artistes, tisserands, décorateurs, aquarellistes, s’emparent de ses pigments. Que la beauté enfin, se répande autour d’elle comme une traînée de poudre colorée.
« La mise en réseau me permet de créer des partenariats, de communiquer mon projet, de partager des informations, de donner et rencontrer du soutien, avec d’autres femmes indépendantes.Je suis fière de prendre part au réseau Diane.»
Lutea - Couleurs végétales